La cachette

Je vois que vous avez compris. C’est justement ce que j’aime : m’en revenir. Oh, ne vous inquiétez pas pour moi. Si je suis saoûl, je vous écrirai au pire un petit billet que je glisserai dans votre sac pendant que vous vous préparerez à partir, un petit sonnet sans rimes explorant les limites de la convenance. Soyez gentille, servez-moi donc un dernier verre de ce fabuleux whisky dont la couleur ocre me rappelle les margelles des puits de chez moi abandonnées aux fougères et aux ronces et sur lesquelles, parfois, un chien vient pisser ses heures solitaires comme j’excave, moi, de douloureux souvenirs que je m’invente pour jouer. Il m’arrive à ces occasions de jauger, du haut de ce piédestal de ruminations solitaires, la différence invisible qui me lie à vous autres, la plaie que vous prenez pour station balnéaire, mine d’or ou trésor caché, et j’en retire toujours cette même insatisfaction du soldat résigné obéissant à un chef qu’il exècre ou exécutant un ordre qu’il ne comprend pas.

Tout à l’heure, alors que vous parliez de vous, je me suis arrêté d’écouter, je vous l’avoue. J’ai de ces absences, je n’y peux rien, je regardais votre visage devenir flou et j’y inventais de nouveaux souvenirs comme la nuit désormais bien avancée, quelle heure est-il d’ailleurs ?, j’y repérais l’empreinte de la salive que je ne poserai sans doute pas et je suivais des yeux mes propres doigts sur votre joue soumise et chaude, je voyais vos yeux se fermer doucement, j’aime cela vous comprenez, inventer une nouvelle narration et en refuser l’exaucement, certains appellent cela le masochisme et d’autres, naïfs, la passivité. Je ne saurais dire qui, finalement, a raison, mais quel qu'en soit le nom je m’y cache bien volontiers comme lorsque petit j’entrais dans la loge de ma gardienne d’immeuble de mère et changeais soudain de langue, dans une brusquerie telle que j’imaginais la porte de notre petit logement comme une cascade infranchissable pour les copains, qui ne m’ont du reste jamais demandé pourquoi je ne les invitais jamais à la maison.