Les grévistes

C'est décidé. Ce matin, le Président de la République et les membres de son gouvernement entament une grève de la faim. Ils protestent contre les manifestations à leur encontre.

Monsieur le Président boude.

La cachette

Je vois que vous avez compris. C’est justement ce que j’aime : m’en revenir. Oh, ne vous inquiétez pas pour moi. Si je suis saoûl, je vous écrirai au pire un petit billet que je glisserai dans votre sac pendant que vous vous préparerez à partir, un petit sonnet sans rimes explorant les limites de la convenance. Soyez gentille, servez-moi donc un dernier verre de ce fabuleux whisky dont la couleur ocre me rappelle les margelles des puits de chez moi abandonnées aux fougères et aux ronces et sur lesquelles, parfois, un chien vient pisser ses heures solitaires comme j’excave, moi, de douloureux souvenirs que je m’invente pour jouer. Il m’arrive à ces occasions de jauger, du haut de ce piédestal de ruminations solitaires, la différence invisible qui me lie à vous autres, la plaie que vous prenez pour station balnéaire, mine d’or ou trésor caché, et j’en retire toujours cette même insatisfaction du soldat résigné obéissant à un chef qu’il exècre ou exécutant un ordre qu’il ne comprend pas.

Tout à l’heure, alors que vous parliez de vous, je me suis arrêté d’écouter, je vous l’avoue. J’ai de ces absences, je n’y peux rien, je regardais votre visage devenir flou et j’y inventais de nouveaux souvenirs comme la nuit désormais bien avancée, quelle heure est-il d’ailleurs ?, j’y repérais l’empreinte de la salive que je ne poserai sans doute pas et je suivais des yeux mes propres doigts sur votre joue soumise et chaude, je voyais vos yeux se fermer doucement, j’aime cela vous comprenez, inventer une nouvelle narration et en refuser l’exaucement, certains appellent cela le masochisme et d’autres, naïfs, la passivité. Je ne saurais dire qui, finalement, a raison, mais quel qu'en soit le nom je m’y cache bien volontiers comme lorsque petit j’entrais dans la loge de ma gardienne d’immeuble de mère et changeais soudain de langue, dans une brusquerie telle que j’imaginais la porte de notre petit logement comme une cascade infranchissable pour les copains, qui ne m’ont du reste jamais demandé pourquoi je ne les invitais jamais à la maison.

Poème

Dans l'aube endurcie les mausolées conversent
attendent les prochains flous

(Il est déjà midi - le portail n'a pas grincé.)

Inscriptions














Avenue de l'Yser, Houilles

(octobre 2009; MP)


La présence portugaise est parfois explicitement inscrite sur les murs.
Pas souvent.

O dia nacional

Ontem fundou a República Popular do Coiso. Decretou a sua independência, assinou um acordo com o vizinho que é turco e com quem partilha a varanda que dá para um mercado onde se vendem tomates que, cinco horas depois de compradas, já são podres. Não se lembra bem do que está no acordo, nem tão pouco onde instalou a capital, nem os papéis e as leis do orçamento nacional, nem sabe se a sua produção permanente de palavrões lhe garante a auto-suficiência intelectual. Não resolveu ainda o problema das relações diplomáticas com o país vizinho que se estende entre Bretanha e Bélgica ; também não mandou carta de parabéns ao Sr. Primeiro-Ministro da República Portuguesa, por este lhe ter deixado no seu sossego de não-Português não-assumido. Não decidiu qual a língua oficial do Coiso, se pitês, se gaulês, se lusitanífero, se nãoseiquês.

Amanhã vê-se, que hoje é o dia em que dão o Columbo na televisão, vai preparar o café e encomendar uma pizza oriental. Gosta disto, sobretudo com picante a mais que até enjoa.


Journaux et poulets

Notre homme se prépare à aller dans le Nord-Est de Paris, métro Pyrénées. Peu importe pourquoi, il en a envie, ou besoin, il l’a écrit sur un morceau de papier, il l’a aussi gravé au couteau sur l’un des pieds de la table, afin de maintenir vive et intacte cette possibilité qu’il a de sortir où bon lui semble. Piètre action, au demeurant, et d'ailleurs il s'en maudit : ce n’est pas la réponse à ses problèmes puisqu’il fait ce qu’il veut dans la dictature moderne. Il se console et s’en va.

Dans la rue, il croise des gens pressés d’aller s’asseoir.

Lui avance doucement, il s’est donné une heure pleine pour arriver à destination. Il arrive au métro. Une entrée de ce côté-ci de la rue, une entrée sur le trottoir d'en face. Parce qu’il a le temps, mais aussi sans raison particulière, il traverse la rue et décide qu’à partir d’aujourd’hui, il prendra souvent l’entrée située du côté des numéros pairs. Il mettra longtemps à se remettre de cette erreur : à l’entrée de la première bouche du métro, un distributeur de journaux gratuits (ils sont six) l’a aperçu et s’est vexé. Il a envoyé un signal (tout se passe dans le dos de notre homme) de l’autre côté de la rue. Chez les pairs, ils sont trois ; la bouche est plus petite et les passants ingurgitent moins de prospectus. Notre homme pense que c’est parce qu’ils ont compris, les pairs. Il est soudain désolé que les trois distributeurs de journaux pairs décident de former barrière devant lui pour l’empêcher de passer. Il demande pardon, tente de passer, regarde ses interlocuteurs muets et retente de passer, rien n’y fait. Il demande à passer, parlemente et reçoit, pour toute réponse, trois journaux gratuits, un échantillon de café et trois prospectus, les mêmes que ceux qu’il a trouvés hier dans sa boîte aux lettres. Ce moment est décisif et la ville s’arrête pour regarder la scène : soit notre homme dit merci et passe, soit il jette tout à terre et se retrouve condamné à ne plus jamais prendre le métro ici. Notre homme ne fait pas exprès de prendre sa décision : les journaux et les prospectus lui ont été mal donnés et ils tombent les uns après les autres. Il ne compte pas les ramasser pour les jeter à la poubelle du coin. De toute façon, à peine tombés sur le sol, les journaux sont subtilisés par des piranhas en tailleur. Notre homme recule, terrorisé. Les trois formes grandissent et deviennent menaçantes, il entend soudain comme en tonnerre la voix de l’un d’eux, interdiction de s’engouffrer dans le métro. Il essaie, le bougre, mais on le repousse sans ménagement. Il repart à l’attaque, court autour de la bouche du métro dans l’espoir d’attirer au moins l’un des adversaires. Hélas, ceux-ci ont bien compris qu’il valait mieux attendre à l’entrée, rester compact, garder toute la cohésion du groupe intacte et assurer la continuité de la distribution des journaux.

Notre homme se fatigue peu à peu. Il revient vers les trois distributeurs et décoche un coup de pied dans le premier tibia qu'il trouve : le deuxième le poursuit, un journal à la main, et lui impose son titre en hurlant « Tu vas le lire ! Tu vas le lire ! » Hélas pour notre homme (une fin atroce, un héros qui meurt), il n’échappera pas à la lecture du titre de une : « Une journée ensoleillée. » Il fronce les sourcils, émet un gémissement et tente par un arrêt brutal d’entraîner son poursuivant dans une chute. Peine perdue, son poursuivant est en fait revenu dans sa ligne de défense, non sans avoir continué la distribution, priorité de toutes les priorités. Les passants dégustent, s’abreuvent de cette journée ensoleillée. Notre homme, lui, a un genou à terre, réfléchit à une nouvelle stratégie. Se lève soudain et court vers le côté impair de la rue, l’ont-ils vu, finalement, se bagarrer, occupés qu'ils sont ? Il faut croire que oui. Ils sont six et le repoussent. Il ne passera pas. Pas de journal gratuit, pas de prospectus ? Pas de métro.

Il renonce. Il en a pour une heure et demie de marche avant d'espérer rejoindre l’autre bout de la ville. Nulle part il n’entreprendra de descendre dans le métro car, partout, des hordes de distributeurs déchaînés crachent leurs journaux à qui mieux mieux. Résigné, il se dit qu’il s’était donné une heure, son retard ne sera pas si grand, une demi-heure tout au plus. Arrivé à Belleville, il découvre un tas de journaux à même le sol, sans distributeurs. Ici, il n’y a que des pauvres qu’on méprise ou des intellectuels qu’on réprouve. Notre homme ne sait pas s’il (...)

Fenêtre


Pardilhó (Portugal), 2006 (MP)

Otílio est né dans cette maison. Un jour, il est parti. Il faut bien vivre.

Papa

Ses mains sont sales, tu sais, elles bougent peu mais t’assènent d’elles-mêmes des histoires bruyantes et évasives, trop mais pas assez, toujours trop mais pas assez. Elles l’ont trahi plusieurs fois, m’ont tenu, secoué, caressé, battu aussi. Elles portaient cette valise qui se dérobe soudain au-dessus du rio Tâmega, et désormais restent seules, se réfugient dans les poches trouées d’un pantalon au gris déteint. J’aurais presque honte des miennes à côté lorsque nous discutons en silence, qu’il regarde sa télévision toujours allumée et que je fais mine de regarder quelque point invisible parterre ou sur le mur, mes mains fines et méticuleuses comme des pattes d’araignée, silencieuses comme un chien battu. J’en aurais honte comme de ma valise à roulettes qui n’incommode personne, de mes étagères trop sages où se côtoient mollement, sans se défier, La Peste et L’Intranquillité, de mes habits si neufs que je crois ne les avoir jamais portés.

Mes mains sont propres, resteront seules et sans histoire. Le monde déroule sa trame ailleurs, dans les plus petits plis de ses gros doigts boudinés où les poussières sédimentées s’enlisent, que mille lavages n’évacueront plus. Elles ont traîné pinceaux et parpaings, semé canalisations, murs et trottoirs dans cette ville qui appartient aux autres, ouvert la fameuse gamelle du travailleur, ah ! comme je hais depuis lors les gamelles ! La sienne était métallique, rouge, haute et trapézoïdale, aussi humble que possible, et maman la remplissait d’un tas de choses qui, mélangées de la sorte comme en quelque fosse commune, me paraissaient toujours immangeables. La gamelle de papa, je ne le savais pas encore, allait se rappeler à moi encore longtemps. Cadavérique il s’en allait le matin, ignorant de sa propre tristesse qu’il enterrait pourtant le soir dans du vin de mauvais goût.

Petit pourtant, je voulais être « travailleur » - comme papa. J’étais pressé de grandir, je voulais tenir le rôle de celui qui parlait et criait le plus fort, découvrait le soir ses grandes mains pleines de peinture blanche et à qui maman servait une lourde sopa de feijão [soupe de haricots] qu’épaississaient encore de gros morceaux de choux, de navets et de chorizo, et le pain qu’ajoutait encore papa sous mon regard attentif. Je voulais moi aussi être un grand homme, persuadé de ce que papa, une fois dehors, criait sur les autres comme à la maison et peignait ce qu’il voulait, où il voulait, avec les teintes que lui seul choisissait. Dans les aventures que j’échafaudais, avachi parterre, et où s’entrechoquaient sous mes doigts cruels de petites voitures de toutes les couleurs, c’était toujours moi qui gagnais les combats contre les méchants et j’imaginais que papa, tout en inventant quelque part des immeubles debout sous le regard ébahi de nombreux admirateurs, pouvait regarder mes victoires à travers une boîte magique qu’il aurait évidemment construite de ses mains. En réalité, petit, je ne savais pas ce qu’était un patron, j’ignorais la complexité des catégories sociales, je ne savais pas non plus qu’on pouvait être étranger et parler avec un accent. Ces découvertes tardives marquèrent, je crois, la fin de mon innocence.

C’est alors, me semble-t-il, que j’ai commencé à arracher la peau du bout de mes doigts, laissant croire à une nervosité quelconque comme l’autre là, Berthe, qui se ronge les ongles, mâchonne un crayon et râle sans cesse sur ses pâles gosses mal dégrossis. J’arrache aussi la peau de mes lèvres – elles saignent parfois. Démultipliant ainsi les traces de ma présence, mes inutiles bouts de peau qui s’enfoncent en même temps dans l’oubli, je fais de mes espoirs d’ubiquité un vague rêve heureux tout juste troublé, le matin, par l’odeur d’eau chaude que me renvoie le four à micro-ondes ou par les cris de ces satanés éboueurs dont les noms et les paroles m’échappent. De ces bouts de doigts éparpillés ne naît qu’une certitude : l’envie de les user à défaut d’être ailleurs ou partout ou un autre. Il me faut les épuiser pour le rejoindre quelque part au fond de ses pensées distraites et percevoir, ne serait-ce qu’un peu, la rugosité du temps qui le ronge.

Car papa a les mains abîmées qui ne disent pas tout, à la manière de ces vieilles maisons aux pierres croulantes qui se dressent encore à demi au milieu de vergers laissés aux mauvaises herbes, de ces vieilles bâtisses dont plus personne ne dira rien sauf lorsque, à l'occasion d'un rapide détour au début d'un circuit touristique, une voix d'enfant s'élèvera comme en songe, maman, regarde la maison là-bas, elle est abandonnée ? Je n'ai, du reste, jamais su ce qu'est devenue la vieille gamelle rouge que papa emmenait tous les matins. Peu importe, à vrai dire, je ne partirai pas à sa recherche : papa a accompli le seul voyage qui vaille. Je peux toujours courir, je n'y verrai rien.

Soledad

esvoaçada e escarnecida ia ela por entre orações imersas, esquecendo por vezes o poder dos passos. de repente estampou seres, fixando instantes moribundos, irritando o decorrer das coisas como esquecêramos, derrotados, as batalhas de particulas. diluiu-se enfim nos dias acabados, o horizonte inclinado desvinculou-se da paisagem, seguindo-se trémulos e bulhas, rostos fechados, jarras e arruaceiros.